Ecoconception : comment repenser les technologies pour consommer moins de ressources et être plus durables ?
Dans le bâtiment, l’industrie ou le numérique, l’écoconception pourrait être LE moyen de concilier technologie et développement durable.
L’innovation et les avancées technologiques dans divers domaines apportent des solutions à différents enjeux de la société : santé, éducation, alimentation, etc… Mais dans le même temps, ces technologies ont un impact non négligeable sur notre écosystème et l’environnement :
- d’une part, les ressources consommées pour les produire ou les fabriquer,
- ensuite les ressources pour les utiliser,
- et pour finir leur impact après utilisation en fin de vie.
De plus, loin de leur usage vertueux de départ, la technologie produit de nombreux gadgets aujourd’hui qui sont loin d’être indispensables voire inutiles. Dans une lecture récente, l’auteur évoquait une comparaison de l’innovation technologique avec un arbre. Après avoir réussi à grimper déjà plus haut que le tronc ( donc créé des innovations et technologies utiles pour améliorer les conditions de travail et de vie), nous nous balançons à présent le plus souvent au bout des branches (nous créons des innovations fantaisistes).
Heureusement, il existe toujours des projets innovants et des innovActeurs qui adressent des sujets de fond, notamment dans les pays émergents. Avec ce blog, je veux revenir aux fondamentaux de la technologie (qui n’est pas que numérique) et aussi promouvoir des innovations pour un monde plus durable.
Mais comment être sûr que ces innovations, même avec toute la bonne volonté, n’ont pas un bilan global négatif en ce qui concerne leur impact environnemental ?
L’écoconception pourrait/devrait être un axe de réponse.
Qu’est ce que l’écoconception ?
D’après Wikipedia:
L’écoconception est une approche qui prend en compte les impacts environnementaux dans la conception et le développement du produit et intègre les aspects environnementaux tout au long de son cycle de vie (de la matière première, à la fin de vie en passant par la fabrication, la logistique, la distribution et l’usage).
C’est une approche très intéressante et « disruptive » (comme on aime dire).
En fait, le concept semble évident pour les personnes ayant eu des formations, un parcours professionnel ou encore une prise de conscience personnelle aux enjeux du climat et de l’environnement. Il y a donc beaucoup de débats et d’initiatives de sensibilisation sur le sujet ces dernières années. Actuellement, se tient la Semaine Européenne du Développement Durable, qui est l’occasion de sensibiliser aux ODD à atteindre d’ici 2030.
Bien que connue, l’approche est disruptive parce qu’elle vient à l’encontre de tout ce que l’ère industrielle et la « croissance » a pu installer comme habitude dans notre quotidien et dans le fonctionnement de l’économie. La création d’entreprise, vecteur de croissance depuis l’ère industrielle fonctionne uniquement sur la création de valeur marchande, sans prise en compte dans l’équation des flux de matières et d’énergie.
L’éco-conception vient rebattre les cartes.
Le bâtiment : un secteur pionnier…
Le secteur du bâtiment a été un des premiers à s’intéresser au sujet et reste moteur sur cette approche.
Quand on y regarde bien, c’est un des seuls secteurs où l’énergie consommée pendant l’utilisation du produit (ici l’immeuble ou le logement) incombe à l’utilisateur et non au producteur/concepteur. En effet, c’est le propriétaire ou l’occupant d’un bâtiment/logement qui paye les énergies consommées pendant son usage. Et contrairement à une voiture qui génère tout de même une facture à l’usage non négligeable mais que beaucoup n’ont pas, l’habitat concerne tout le monde et faire des économies d’énergie est un sujet réel.
De plus, près de 44% de la consommation énergétique en France est imputable au seul secteur du bâtiment en 2017 [1]. la demande en nouvelles constructions en croissance et les capacités de production d’énergie étant limitées (et chères à augmenter), limiter l’augmentation de cette consommation est assez vite devenue un enjeu.
Ainsi, des réglementations sont venues encadrer les niveaux de consommations autorisées pour les bâtiments dès leur conception. Des labels environnementaux ont ensuite permis d’encadrer l’approche d’écoconception des bâtiments : un bâtiment où le confort est maintenu en utilisant au maximum le recours à des énergies gratuites passives. Aussi appelée conception bioclimatique, elle encourage l’utilisation au maximum des apports solaires en hiver pour éviter de chauffer et la ventilation naturelle l’été pour ne pas climatiser : on parle de bâtiment passif.
Cette démarche va encore plus loin avec la notion d’analyse de cycle de vie, omniprésente depuis quelques années.
Il s’agit d’évaluer, en plus de l’énergie consommée pendant son utilisation, l’impact environnemental de tous les éléments entrants dans la construction. Cet impact prend en compte l’extraction des matériaux bruts, leur acheminement, leur transformation et leur durée de vie une fois en place sur le bâtiment. Il y a ainsi un challenge vertueux de performance à la sobriété : les meilleurs projets sont ceux ayant les impacts environnementaux et les niveaux de consommations les plus faibles. Cette émulation fait donc apparaître des technologies de construction innovantes.
Tout cela est possible en raison de l’aspect local de la construction d’un bâtiment : il doit répondre aux exigences de construction du pays que le législateur peut utiliser comme levier. Ce n’est pas forcément possible pour les produits industriels …
Pour inspirer la conception de produit dans l’industrie…
La consommation de ressources dans l’industrie se fait principalement bien en amont de son usage final par l’utilisateur. La conception et la fabrication de produits de l’industrie vise la production de masse, et donc toute une infrastructure dédié à l’extraction et la transformation des ressources brutes. De plus, les produits sont parfois produits et expédiés à l’autre bout du monde. Ce qui limite l’impact de réglementations nationales pour encadrer leur impact.
Heureusement, les prises de conscience sur les enjeux climatiques et l’émergence de la « responsabilité sociétale des entreprises » a ouvert la voie aux démarches environnementales, en tout cas à l’échelle européenne avec une directive fixant un cadre en matière d’exigences [1]. De nombreuses entreprises s’attellent ainsi à réduire les empreintes environnementales de leurs activités et de leurs produits.
A cet effet, un outil s’avère intéressant pour guider dans l’écoconception d’un produit ou service : il s’agit du Circular canvas business model développé par le Circulab. Cet outil s’inspire du « business model canvas » très connu pour définir son modèle d’affaires, et y ajoute 3 éléments de réflexion :
- les ressources naturelles, énergétiques et techniques nécessaires au projet,
- les impacts sur le territoire et les écosystèmes,
- l’usage suivant, c’est à dire comment gérer la fin de l’utilisation du produit/service.
L’avantage de cet outil est de répertorier et prendre en compte tous les flux entrants dans la fabrication de son produit ainsi que les impacts négatifs éventuels pendant sa fabrication, son utilisation et sa fin de vie.
Des solutions pour produire localement, optimiser les ressources énergétiques et les matières premières ou encore rendre possible le recyclage en fin de vie peuvent être ainsi envisagées dès la conception des produits et développer de nouvelles approches technologiques.
Cette réflexion est également celui de la « lowtech » qui vise à créer des produits simples à fabriquer et à réparer en mode « Do It Yourself » en utilisant le moins de ressources possibles. On peut citer en exemple de sobriété technologique, ce capteur de brouillard qui permet en plein désert de fournir jusqu’à 10 000 litres d’eau potable par jour.
La plupart des produits intègrent aussi et de plus en pus une couche numérique ou digitale. Ce qui nous amène au sujet du numérique et des nouvelles technologies.
Et le secteur du numérique et des nouvelles technologies
Les nouvelles technologies sont devenues très accessibles et s’utilisent pour répondre à des enjeux divers : drones pour surveillance parc animaliers ou pour l’agriculture, imageries satellites et cartographie, objets connectés pour faire des économies d’énergie ou d’eau, etc…
Aujourd’hui, on sait que le numérique a un impact environnemental plus important que l’aéronautique. Le très intéressant rapport « Déployer la sobriété numérique » publié en Janvier 2020 par The Shift Project [3] aborde le sujet de l’impact des outils numériques.
- L’impact environnemental d’un smartphone est à 90% sur la production et que 10% sur l’usage, et ce dans le cas où il est utilisé 2 ans.
- Le numérique, au global, a un impact réparti à 45% sur la production (fabrication et déploiement des serveurs, infrastructures physiques) et 55% sur l’utilisation (consommation des datacenters, traitement et transmission des données, etc…).
On voit que dans les deux cas, l’impact le plus important se situe hors de la portée de l’utilisateur final. Seuls 20% de la ressource énergétique se situent au niveau de l’utilisation des terminaux.
Pour la production, des approches comme le Circular canvas présenté plus haut sont à mener et encourager pour essayer de réduire au maximum l’impact négatif dès la production. On peut citer en exemple le FairPhone qui propose deux évolutions majeures pour les smartphones : des matières premières mieux sourcées et une modularité pour prolonger la durée de vie.
De nouvelles approches émergent aussi pour l’écoconception de sites web ou d’applications mobiles avec moins d’éléments à charger pour limiter les requêtes vers les serveurs et utiliser moins de bande passante. Par exemple, le Lowtech Magazine a un site web minimaliste sur un serveur alimenté à l’énergie solaire > https://solar.lowtechmagazine.com/. Celui ci est donc accessible uniquement quand il y a assez d’énergie disponible : pas forcément pratique, mais ça existe.
Les technologies peuvent donc être conçues dès le départ pour favoriser des usages sobres dont l’impact sera décuplé avec la participation de l’utilisateur.
En effet, le comportement de l’utilisateur est un élément clé dans cette quête de sobriété numérique. Un travail de sensibilisation est donc à mener pour « éduquer à l’usage du numérique » et permettre d’adopter un usage tech éco-responsable. En effet, si les utilisateurs gardent leurs appareils électroniques plus longtemps par exemple, cela limite de fait le rythme de production de nouveaux appareils et donc d’utilisations de ressources.
Un défi à relever : la sobriété technologique
De nombreuses plateformes existent aujourd’hui pour permettre d’acheter d’occasions, voire de donner ou récupérer gratuitement des objets qu’on n’utilise plus. C’est aussi cela la force et l’intérêt du numérique.
Parce qu’un élément important à prendre en compte selon moi est la finalité : pourquoi utilise t-on la technologie ? Si l’usage des nouvelles technologies a un fort impact environnemental mais permet d’amener à un usage vertueux, doit-on s’en priver et tout arrêter ?
Selon moi, le problème n’est pas l’utilisation des ressources, parce que rien ne peut être fait sans consommer de ressources. Même allongé et immobile, notre corps consomme des ressources. Le problème environnemental est lié à une consommation accélérée des ressources qui empêche sa régénération et amène a un déséquilibre. Utiliser les technologies pour préserver l’environnement, c’est utiliser les moyens à notre disposition aujourd’hui pour préserver notre futur.
La question serait plutôt de concevoir ces technologies avec une vision basée non seulement sur la performance, mais aussi la résilience et la sobriété en ressources avec une intégration des flux environnementaux en plus des flux économiques. Cela nécessite donc une prise de conscience des utilisateurs ainsi qu’un travail en amont des concepteurs et innovActeurs pour trouver des moyens d’améliorer la conception, intégrer l’économie d’énergie et la sobriété carbone dès le départ.
Promouvoir l’innovation et la technologie pour un monde durable ne signifie pas se dire que la technologie va nous sauver, que nous n’avons aucune responsabilité et que ce sera sans impact négatif.
Rabelais disait « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme« . Il en est de même selon moi pour la technologie qui n’est qu’un outil et que nous pouvons choisir de bien ou mal utiliser. C’est donc à nous de mieux concevoir, produire et utiliser les technologies.
Qu’en pensez-vous ?
Quelques liens et articles ressources cités dans l’article :
Merci Amah pour cet article très complet,
Une prise de conscience collective émerge depuis quelques années. Tout l’enjeu est aujourd’hui de bien réfléchir en cycle de vie comme tu l’as bien expliqué afin d’éviter de se laisser berner par du Green Washing.
C’est exactement cela, les fausses bonnes idées ne sont pas si simples que ça à déceler… Merci de ton retour.