Quelles technologies ont permis à l’avion solaire Solar Impulse de faire le tour du monde sans carburant ?
Un avion solaire qui fait le tour du monde sans faire le plein ? C’était la prouesse de Solar Impulse 2 en 2016. Comment cela a pu être possible et quelles utilisations pour ces technologies aujourd’hui ?
Vous en avez sûrement entendu parler en 2015 : une équipe s’est lancé le défi de faire un tour du monde en avion. Jusque là rien de spécial. Sauf que l’avion en question serait électrique et se rechargerait uniquement à l’énergie solaire. Ce tour du monde a été une première dans l’histoire de l’aviation, de l’énergie et des technologies propres. C’est un cas pratique de sujets que j’affectionne particulièrement, car il mêle :
- l’aspect industriel et mécanique : toute la partie aérodynamique, transmission de puissance,
- l’aspect énergie avec les panneaux solaires et des batteries de stockage qui prennent le relai la nuit,
- l’informatique et l’électronique pour permettre à tout cela d’être piloté et de fonctionner de façon fluide.
Cela a donc été un bon terrain d’expérimentation pour constater les performances des technologies embarquées en conditions réelles.
Un avion solaire pour promouvoir les technologies propres
Solar Impulse n’est pas le premier projet d’avion solaire, mais il est le premier (et le seul à date je crois) à avoir volé de nuit en totale autonomie. En effet, le tour du monde réalisé correspond à 43 000 km réparti en 12 étapes à des vitesses entre 50 et 100 km/h.
La plus longue étape a duré 5 jours où l’avion solaire était alimenté uniquement par les 17000 cellules solaires disposées sur les ailes de 72m de long. Le défi humain relevé par les pilotes est également à saluer.
A l’origine de ce projet, Bertrand Piccard et sa volonté de promouvoir les technologies propres. En effet, diverses technologies étaient déjà existantes, mais leur adoption et leur intégration dans des produits grand public était hésitante. Ce tour du monde était donc une démonstration de la maturité et du potentiel de ces nouvelles technologies propres.
PS : On parle de Solar Impulse 2 parce que la version 1 était un prototype et c’est la version 2 qui a réalisé le tour du monde. [1]
Des technologies à déployer massivement
Dans un récent article sur son blog, Bertrand Piccard a mis en avant 4 technologies propres qui ont rendu l’aventure Solar Impulse possible [2]. Ces technologies, déployées massivement, pourraient bénéficier à différents secteurs et aider à répondre à l’enjeu climatique. Voici mon analyse à leur sujet.
1. L’isolation innovante pour une meilleure performance énergétique des bâtiments
Le cockpit de 3,8m2 était non pressurisé, ni chauffé ni climatisé. L’isolation de la cabine était donc un point vital pour la survie et le confort des pilotes à très haute altitude. Un matériau ultra-léger et isolant a ainsi été développé pour répondre à ce challenge. Développé par Covestro, ce matériau permettait une performance d’isolation supérieure de 10% aux normes de l’époque (2014). De plus, sa très faible densité (moins de 40 kg/m3) rendait le cockpit ultra léger.
Cette technologie pourrait être très utile dans le secteur du bâtiment. En effet, 40% de la consommation d’énergie en France est liée au secteur du bâtiment. La majeure partie de cette consommation est liée au chauffage, le plus souvent en raison de la mauvaise isolation de la plupart des bâtiments existants. Bien que les nouvelles normes de construction soient très exigeantes, le poids du parc existant est énorme : une massification de la rénovation énergétique est donc essentielle.
Un des sujets sensibles de la rénovation est qu’on ne peut isoler certains bâtiments que par l’intérieur. Et cela peut donc réduire de beaucoup l’espace intérieur disponible. Utiliser une isolation plus performante, permettrait d’isoler suivant les normes actuelles avec une épaisseur d’isolant réduite. Ou obtenir une isolation encore plus performante pour les bâtiments neufs sans étendre sur l’emprise au sol du bâtiment.
2. La propulsion électrique pour dynamiser la mobilité
Les véhicules électriques sont souvent mis en avant pour leur impact écologique. Bien que la question des batteries et de la source de la production d’électricité se pose, le point intéressant dans la propulsion électrique est son rendement. En effet, là où le moteur thermique à essence classique affiche un rendement de 27% en moyenne, les moteurs électriques de Solar impulse avaient un rendement de 97%. C’est à dire que 97% de l’énergie disponible était utilisée pour propulser l’avion. Avec un moteur thermique, plus de 70% de cette énergie aurait été perdue.
La propulsion électrique est donc une formidable opportunité de mieux utiliser l’énergie disponible, surtout si elle est couplée à une production solaire. Le secteur des transports représente un quart des émissions mondiales de CO2 liés à l’énergie. Un meilleur rendement et une production renouvelable pourraient donc changer la donne. C’est d’ailleurs ce que propose Tesla sur certaines de ses stations de recharges, notamment à Las Vegas.
3. Des réseaux intelligents pour mutualiser et distribuer la production d’énergie renouvelable
Pour pouvoir voler plusieurs jours et nuits d’affilée, des batteries permettaient de stocker l’énergie collectée la journée pour l’utiliser pendant la nuit de façon cyclique et en autonomie. Pour des zones non connectées à un réseau électrique, cela démontre la fiabilité d’un système de production d’énergie renouvelable à l’épreuve du temps. De quoi fournir une alternative aux générateurs diesel ou fioul utilisés d’habitude dans ces conditions.
Au delà des générateurs, l’intelligence d’utiliser la puissance nécessaire au bon moment a un impact non négligeable. En effet, pouvoir suivre la consommation et piloter la production , le stockage, la distribution grâce à des réseaux intelligents permet de lisser les pics de demande énergétique et palier à l’intermittence des énergies renouvelables.
Sur ce point, l’effacement est d’ailleurs un sujet très intéressant [3]. L’idée est de moduler la demande énergétique pour ne pas dépasser la capacité de production disponible, en arrêtant des équipements consommateurs.
Concrètement, si le réseau identifie par exemple une surconsommation qui surviendra à 19h, il peut demander à des machines d’une usine de fonctionner à 50% de leur puissance afin de ne pas dépasser la puissance disponible et ainsi maintenir la stabilité du système.
4. L’efficacité énergétique pour économiser au lieu de produire davantage
Ce point vient compléter les 2 points précédents sur un point important : les quantités d’énergie en jeu. En effet,
- la propulsion électrique nécessite des batteries avec des capacités suffisantes pour permettre une autonomie confortable.
- les micro-réseaux doivent permettre de produire assez d’énergie pour satisfaire les besoins des utilisateurs.
C’est là que les notions de sobriété et d’efficacité énergétique entrent en jeu :
« La philosophie de Solar Impulse était d’économiser l’énergie au lieu d’essayer d’en produire davantage. C’est pourquoi la quantité relativement faible d’énergie solaire que nous avons collectée est devenue suffisante pour voler jour et nuit. Tous les paramètres de l’avion, y compris l’envergure, l’aérodynamique, la vitesse, le profil de vol et les systèmes énergétiques, avaient donc été conçus pour minimiser les pertes d’énergie. »
Bertrand Piccard
Cette philosophie suggère, par exemple, d’avoir des voitures électriques les plus légères et aérodynamiques possibles. C’est donc le lieu de souligner la fâcheuse tendance actuelle aux SUV électriques, qui est à l’opposée.
Intégrer l’efficacité énergétique est donc un axe de développement technologique à part entière. En se basant sur les principes de l’écoconception, on pourrait créer dans tous les secteurs, des produits pas juste efficaces ou rentables, mais efficients en termes de consommation d’énergie et d’impact environnemental.
A l’échelle individuelle, cela se traduirait par une sobriété de nos usages numériques et la prise en compte de ce paramètre dans la création des outils et technologies que nous utilisons.
Consommer mieux pour favoriser les technologies propres
L’idée de base qui a fait de cette aventure un succès, c’est donc de consommer peu, afin que l’énergie renouvelable disponible soit suffisante tout en stockant le surplus pour tenir la nuit.
Les énergies renouvelables étant intermittentes et moins faciles/pratiques à stocker que les énergies fossiles, il est donc indispensable d’apprendre à consommer mieux, afin d’espérer remplacer les énergies fossiles.
En effet, les technologies propres existent et ont démontré leur fiabilité. La fondation Solar Impulse en a sélectionné plusieurs à découvrir et soutenir sous le label « Solar Impulse Efficient Solution » [4]. Leur adoption grand public au plus vite est à présent le principal challenge pour avoir un impact significatif sur le changement climatique à moyen/long terme.
Et vous, que pensez-vous de ces notions de sobriété/efficacité énergétique par rapport aux technologies et outils numériques utilisés au quotidien ?
Couverture : © Solar Impulse
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